Impacts de la réforme en copropriété divise au Québec pour les promoteurs immobiliers : revue et analyse

[Mis à jour le 27 février 2020]

Le projet de loi 161 qui était adopté par l’Assemblée nationale du Québec en décembre dernier (le « Projet de loi ») vise à substantiellement modifier le cadre législatif entourant la copropriété divise au Québec.

Cette démarche, qui s’inscrit dans le contexte de la popularité grandissante de la copropriété au Québec, répond à divers problèmes reliés au vieillissement et à l’entretien du parc de condos actuel. Les immeubles en copropriété sont souvent sujets à un manque d’entretien et à une insuffisance du fonds de prévoyance ce qui risque d’entraîner des cotisations spéciales onéreuses pour les copropriétaires. Les données qui ont été soumises à l’Assemblée nationale du Québec, lors de l’étude du Projet de loi, démontrent d’ailleurs que la majorité des syndicats de copropriété sont en autogestion, qu’ils manquent de fonds au moment de réaliser des travaux et que la cotisation spéciale est souvent privilégiée comme stratégie de rattrapage.

Le Projet de loi entrera en vigueur à compter du 10 janvier 2020 et modifiera plusieurs dispositions du Code civil du Québec (le « C.c.Q ») et de la Loi sur le bâtiment afin d’encadrer les inspections en bâtiment.

De plus, les syndicats de copropriété deviendront assujettis à des obligations supplémentaires, y compris celles relatives à l’étude du fonds de prévoyance.

Pour les promoteurs, le Projet de loi entraîne diverses obligations additionnelles qui sont résumées plus bas et dont un des points les plus saillants vise la protection des acomptes des acheteurs.

Ceci dit, certaines de ces modifications demanderont probablement des clarifications, lesquelles sont toujours attendues en date des présentes. Le 21 février dernier, le gouvernement du Québec a rendu disponible un document intitulé « portrait de mesures » afin de clarifier quelques items d’application de la Loi 16 (le « Portrait des mesures »).

Assemblée de transition

Lorsque le promoteur organise l’assemblée de transition de la copropriété en vue de la formation d’un nouveau conseil d’administration, il a l’obligation de fournir les documents suivants au nouveau conseil d’administration dans les 30 jours de la tenue de cette assemblée :

  • le carnet d’entretien de l’immeuble (contenu à être prévu par règlement qui n’est pas disponible en date des présentes);
  • l’étude du fonds de prévoyance (contenu à être prévu par règlement qui n’est pas disponible en date des présentes). À ce titre, le Portrait des mesures indique que les sommes à verser devront correspondre à 0,5 % de la valeur de reconstruction de l’immeuble jusqu’à l’obtention d’une telle étude;
  • les plans et devis indiquant les modifications substantielles apportées à l’immeuble pendant sa construction par rapport aux plans et devis d’origine;
  • la description des parties privatives;
  • tout autre document ou renseignement prévu par règlement du gouvernement.

Budget prévisionnel

Le Projet de loi prévoit un ajout à l’article 1791 du C.c.Q. afin de rendre le promoteur responsable du remboursement de toute différence de plus de 10% entre les sommes indiquées au budget prévisionnel qu’il a établi et les sommes réellement engagées par le syndicat pour le premier exercice financier complet suivant la constitution du nouveau conseil d’administration, pourvu, toutefois, que ce manque à gagner ne soit pas attribuable à des décisions prises unilatéralement par le syndicat de copropriété.

En conséquence, les promoteurs auront généralement tendance à présenter un budget prévisionnel à la hausse afin que chaque poste reflète la réalité une fois l’immeuble occupé par les copropriétaires, ce qui aura sûrement pour effet d’entraîner une augmentation des frais de condos par rapport à ce qui avait été représenté par les promoteurs lors de la mise en vente des unités.

Obligation de protection des acomptes des acheteurs

Le Projet de loi modifie de plus l’article 1791 du C.c.Q afin de prévoir que le promoteur a l’obligation de protéger entièrement tout acompte versé au bénéfice d’une unité de copropriété par un des moyens suivants :

  • un plan de garantie;
  • une assurance;
  • un cautionnement;
  • un dépôt dans un compte en fidéicommis d’un membre d’un ordre professionnel déterminé par règlement du gouvernement2;
  • par tout autre moyen prévu par règlement édicté par le gouvernement.

Cet ajout étant considéré d’ordre public, un promoteur ne pourra demander à un acheteur de renoncer à la protection de son acompte.

À l’heure actuelle, et comme confirmé dans le Portrait des mesures, les acomptes ne peuvent être protégés par le dépôt dans un compte en fidéicommis d’un membre d’un ordre professionnel. Cette mesure sera en vigueur lorsqu’un règlement du gouvernement du Québec sera adopté à ce titre.

La notion d’« acompte » englobe ainsi le versement de tout montant qui ne serait pas le paiement complet d’une unité de copropriété et ce, peu importe le nombre d’unités et sans limiter la somme protégée. Comme les dispositions sont introduites dans la section relative aux immeubles à usage d’habitation, elles ne trouveront pas application dans le cas de fractions à vocation commerciale.

Le plan de garantie actuellement offert par le gouvernement (la Garantie de construction résidentielle) ne protège les acomptes que jusqu’à concurrence de 50 000$. Cette somme est souvent bien inférieure aux acomptes réellement exigés par les promoteurs. Qui plus est, la GCR ne s’applique qu’aux immeubles comportant 4 étages et moins de logements superposés.

Le promoteur ne pourra donc détenir les acomptes et/ou les utiliser dans le cadre de la construction de son projet que si un plan de garantie, une assurance ou un cautionnement est valablement en place et que la preuve de son existence peut être fournie aux acheteurs. À défaut, les acomptes devront être remis au compte en fidéicommis d’un notaire ou d’un avocat et ces sommes ne seront relâchées qu’une fois que l’acheteur détiendra un bon et valable titre de propriété ou si le promoteur démontre, en cours de route, au notaire ou à l’avocat qu’un moyen alternatif de protection a été mis en place. Dans la négative, les recommandations de la Chambre des notaires sont de ne pas remettre l’acompte au promoteur.

Ainsi, dans le cas d’une assurance ou d’un cautionnement, le promoteur devra faire la preuve de son existence et démontrer qu’il couvre les acomptes jusqu’à la date de livraison des unités de copropriété visées et qu’il ne comporte aucune condition pour son maintien en vigueur.

Note d’informations remise à l’acheteur

Le gouvernement souhaite également réitérer l’importance de la note d’informations requise du promoteur lors de la signature de la promesse d’achat. Cette note d’informations s’inscrit dans un processus de transparence du promoteur pour s’assurer que les acheteurs d’unités soient bien informés de la gestion qui sera effectuée.

La note d’informations qui est remise à l’acheteur lors de la signature de la promesse d’achat doit être complète et conforme. À défaut, le projet de loi permet maintenant à l’acheteur de demander la nullité de la vente et des dommages-intérêts s’il n’a pas reçu la note d’informations ou si cette dernière contient des erreurs ou des lacunes qui pourraient causer un préjudice sérieux à l’acheteur.

Cette demande de résolution de vente doit être intentée dans les 90 jours suivant la vente de l’unité. De plus, cette demande peut être présentée par le syndicat au nom du copropriétaire concerné.

À défaut de demander la résolution de la vente, l’acheteur peut également exiger une réduction du prix d’achat proportionnelle aux dommages-intérêts qui sont justifiés.

Nous nous interrogeons sur le droit consenti au syndicat de présenter la demande de résolution de vente pour et au nom du copropriétaire. En effet, le syndicat demeure un tiers au processus de vente qui a été conclu entre le promoteur et l’acheteur. Qui plus est, si c’était le cas, les frais encourus par le syndicat pour cette résolution devraient être assumés par l’ensemble de la copropriété, ce qui nous semble pour le moins étonnant.

Faculté de dédit du promettant-acheteur

Actuellement, la faculté de dédit du promettant-acheteur est de 10 jours suivant la conclusion de la promesse d’achat. Avec les changements législatifs et afin de réitérer l’importance de la note d’informations, la faculté de dédit du promettant-acheteur pourra maintenant s’exercer dans les 10 jours suivant la réception de la note d’information.

Droit des acheteurs d’exiger la remise des acomptes

Dans l’éventualité où l’unité de copropriété n’est pas livrée par le promoteur à la date convenue, l’acompte du promettant-acheteur devra lui être remis.

Le Projet de loi n’offre aucune définition de « date convenue » ni ne prévoit de contextes particuliers pouvant entraîner cette remise. Nous nous interrogeons donc sur la portée de la notion de « date convenue ». À ce titre,

  • Est-ce que des exceptions peuvent être prévues?
  • Est-ce que la définition de « force majeure » peut être revue ou modifiée par le promoteur?
  • Est-ce que le promoteur bénéfice d’une période de grâce?
  • Est-ce que le promoteur doit se commettre contractuellement à la date convenue dès la signature de la promesse d’achat ou peut-il la confirmer en cours de route?

Cette disposition peut entraîner d’importantes problématiques pour les promoteurs, surtout dans l’état actuel du marché de la construction qui subit des pénuries majeures de main-d’œuvre.

De plus, nous nous interrogeons sur la conséquence de la remise des acomptes? Le contrat préliminaire est-il alors réputé être résilié ou la remise entraîne-t-elle seulement un avantage en faveur du promettant-acheteur qui peut s’interpréter comme une réduction du prix de vente?

À même le Portrait des mesures, on nous confirme que le promoteur peut prévoir, à même le contrat préliminaire, que la « date convenue » peut être modifiée à la suite d’un imprévu, et ce, d’un commun accord entre les parties. La notion d’« imprévus » n’a pas été définie. Cette modification semble également sujette à l’accord du promettant-acheteur.

Le Portrait des mesures confirme également que le promoteur peut définir la « date convenue » comme un moment précis ou une période pouvant s’échelonner sur quelques mois comme, par exemple, l’automne 2020.

Conséquences sur les financements construction

Le Projet de loi aura certainement un impact important sur les institutions financières dans le cadre de la qualification des dépôts, des garanties demandées et du niveau de risque des projets de construction d’unités de copropriété. Pour les emprunteurs, les conditions de financement risquent d’être resserrées et le montant des mises de fonds exigées risque d’augmenter.

En effet, les dépôts ne seront plus considérés comme « non remboursables » en raison :

  1. des risques reliés au non-respect de la date convenue; et
  2. de la possibilité de demandes de résolution de la vente présentées par les acheteurs en lien avec le contenu de la note d’informations.

Qui plus est, si les dépôts sont garantis par leur remise au compte en fidéicommis d’un notaire ou d’un avocat, ces derniers ne pourront être utilisés à titre de mise de fonds. Les sommes financées devront donc être proportionnellement augmentées ou l’emprunteur devra avoir accès à de l’équité additionnelle.

Une question persistera également pour l’industrie : comment les institutions financières se positionneront-elles eu égard au risque relié à la date convenue? Le non-respect des dates de livraison deviendra un élément intrinsèque de l’analyse du niveau de risque du prêteur. En effet, le prêteur pourrait se retrouver en fin de projet dans une situation où il aurait avancé la quasi-totalité du prêt construction et où une multitude d’acheteurs se seraient désistés.

Mesures transitoires visant les acomptes

Trois questions se doivent d’être considérées eu égard à l’impact du Projet de loi sur les projets en cours. À ce titre :

A. Est-ce que les obligations de protection des acomptes s’appliquent aux dépôts reçus par un promoteur avant le 10 janvier 2020?

Réponse : Suivant notre interprétation des mesures transitoires décrites au Projet de loi et notre lecture du Portrait des mesures, la réponse est non.

B. Est-ce que les obligations de protection des acomptes s’appliquent aux dépôts à venir en lien avec un contrat préliminaire signé avant le 10 janvier 2020?

Réponse : Suivant notre lecture du Portrait des mesures, la réponse est non. Toutefois, le Projet de loi ne confirme pas cet aspect hors de tout doute.

C. Est-ce que les obligations additionnelles du promoteur (remboursement pour non-respect de la date convenue, note d’informations et droit de résolution) s’appliquent aux contrats préliminaires signés avant le 10 janvier 2020?

Réponse : Cette question demeure ambigüe. Le Projet de loi prévoit une application immédiate à compter du 10 janvier 2020 et le Portrait des mesures n’adresse pas cette question. Toutefois, si nous appliquons la même logique visant l’obligation de protection des acomptes à ces mesures additionnelles, la réponse est non. Nous croyons toutefois que le gouvernement doit clarifier cet aspect rapidement avant que les promoteurs se positionnent face à leur clientèle.

Par Audrey Robitaille

1 Projet de loi numéro 16 : Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le droit municipal.

2 La Chambre des notaires a confirmé que la détention par ses professionnels constitue un moyen de protection suffisant dans la mesure où le dépôt n’excède pas l’indemnité maximale du Fonds d’indemnisation de la Chambre à savoir, 100 000$.