Pandémie de la COVID-19 : assimilable à un cas de force majeure ?

Depuis quelques semaines, les gouvernements du Québec et du Canada mettent progressivement en place diverses mesures restrictives afin de limiter la propagation de la COVID-19. Malgré le bienfait de ces mesures pour la santé publique, celles-ci ont des effets négatifs sur l’économie et les acteurs qui y participent. Cela affecte la réalisation de plusieurs obligations contractuelles indépendamment de la volonté des parties au contrat. La pandémie de la COVID-19, par l’entremise du concept de la force majeure, pourrait-elle permettre de libérer un cocontractant de son inexécution contractuelle ?

Force majeure en droit québécois

Le Code civil du Québec (le « Code ») prévoit qu’un cocontractant peut être libéré de sa responsabilité contractuelle découlant de son inexécution contractuelle lorsqu’il prouve que cette dernière résulte d’un cas de force majeure [1]. Le Code définit la force majeure comme étant un événement qui est à la fois imprévisible et irrésistible. Le caractère imprévisible de la force majeure est interprété par les tribunaux comme un événement qui, lors de la conclusion du contrat, ne pouvait être prévu par une personne prudente et diligente [2]. L’envergure et la rareté de ce type de situation nous portent à croire que la pandémie de la COVID-19 pourrait satisfaire le critère d’imprévisibilité.

Le deuxième critère, soit l’irrésistibilité, est défini comme étant un événement pour lequel il est impossible d’empêcher sa survenance, c’est-à-dire qu’une personne prudente et diligente n’aurait pas pu mettre en place des mesures lui permettant d’empêcher l’événement. Les tribunaux québécois ont même affirmé que l’irrésistibilité doit être absolue : l’impossibilité d’exécuter doit revêtir un caractère général et rendre l’exécution impossible pour tous [3]. Le seul fait que l’exécution de l’obligation s’avère plus dispendieuse ou difficile n’est pas suffisant pour remplir ce critère. Par exemple, l’inexécution contractuelle d’un fabricant de portes due à l’augmentation du prix du bois liée à la pandémie de la COVID-19 ne permettrait probablement pas de justifier son inexécution contractuelle de livrer les portes, puisque le critère d’irrésistibilité absolu ne semble pas rempli.

Le fardeau de preuve associé à la force majeure peut être difficile à démontrer puisqu’il doit rendre impossible pour tous l’exécution de l’obligation [4]. La détermination d’un cas de force majeure est une question de fait qui ne peut être appréciée que par les tribunaux. Ainsi, la pandémie de la COVID-19 pourrait être qualifiée de force majeure pour une situation donnée et ne pas l’être dans une autre.

Relations contractuelles : clause de force majeure

Outre l’application du Code, les parties possèdent la liberté contractuelle d’adapter les clauses du contrat afin de régir l’applicabilité de la force majeure. Lors de la rédaction des contrats, il est possible de définir la force majeure en y spécifiant une énumération de causes ou évènements (catastrophes naturelles, pandémies, soulèvements sociaux) qui pourraient justifier une inexécution contractuelle. Certains choisiront de rédiger une clause permettant la suspension ou le report de l’exécution contractuelle jusqu’à ce que l’événement de force majeure cesse tandis que d’autres choisiront d’exclure en tout et pour tout l’applicabilité de la force majeure dans leur relation contractuelle, c’est-à-dire que, même en cas de pandémie ou de catastrophe naturelle, les parties demeureront obligées de s’exécuter. Ainsi, il est important de bien rédiger la clause afin d’adapter le contrat à la volonté des parties en cas de force majeure.

Impossibilité d’exécuter l’obligation : la restitution des prestations

La libération d’une partie de son inexécution contractuelle en raison de la force majeure n’est pas sans conséquence. La libération relative à l’inexécution entraîne la restitution des prestations [5]. Il serait contraire aux principes économiques de permettre à une partie à un contrat de s’enrichir aux dépens de l’autre. Par exemple, un fournisseur de service ne pouvant rendre son service à son cocontractant devra lui restituer la prestation reçue. La restitution des obligations peut être partielle, notamment lorsque l’obligation a été partiellement exécutée par le cocontractant invoquant la force majeure. Ainsi, un voyageur qui aurait débuté son voyage avant que ce dernier soit annulé pour cause de force majeure verra sa prestation restituée partiellement, à la hauteur de l’obligation qui n’a pas été exécutée.

En conclusion, une analyse au cas par cas des critères mentionnés ci-dessus s’avère impérative pour déterminer si, dans un cas donné, la pandémie de la COVID-19 constitue un cas de force majeure permettant la libération de la responsabilité découlant de l’inexécution contractuelle. Pour pallier cette incertitude, les différentes ententes contractuelles devront être révisées afin de s’adapter aux réalités économiques applicables aux différentes industries.

Par Catherine Demers


[1] Article 1470 C.c.Q.

[2] Vandry c. Quebec Railway, Light, Heat and Power Co. 1916 CSC 50.

[3] Guarantee Company of North America c. Machinerie G. Simard inc., 2010 QCCA 952.

[4] La Malbaie (Ville de) c. Entreprises Beau-Voir inc., 2014 QCCA 739.

[5] Articles 1693 et 1694 C.c.Q.