Les décisions récentes traitant des baux commerciaux dans un contexte de pandémie

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Gascon Litige Litigation

Le présent article est une revue de quelques décisions récemment rendues par les tribunaux québécois relativement au louage commercial en cette période de pandémie. Ces dernières peuvent donner des outils intéressants pour les bailleurs ou les locataires actuellement touchés par la fermeture de certains commerces, telle que récemment décrétée par le gouvernement provincial.

En juillet dernier, la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc. [1], devait statuer sur la question suivante : un locataire peut-il être libéré de son obligation de payer le loyer en raison de la force majeure que représente la pandémie de la Covid-19 et la fermeture des commerces forcée par le décret gouvernemental?

Dans cette affaire, le locataire, qui exploitait un centre de conditionnement physique, prétendait qu’il n’avait pas à payer le loyer des mois de mars, avril, mai et juin en raison de la fermeture forcée de son commerce, qu’il assimilait à un cas de force majeure. Une notion dont Catherine Demers a déjà discuté sur notre BloG. Au terme de son analyse, elle a noté que le décret gouvernemental et les conséquences que nous connaissons correspondaient à un cas de force majeur. Ainsi, la Cour a conclu que le locataire n’a effectivement pas à payer le loyer pour la période visée par la fermeture forcée de son commerce. Elle conclut ainsi, non pas en raison des arguments avancés par le locataire, mais en raison de l’obligation de fournir la jouissance paisible des lieux qui incombe au locateur.

Comme la Cour le souligne, cette obligation, bien qu’elle puisse être modulée contractuellement, en est une de résultat. Appliquant le principe de l’article 1694 du Code civil du Québec, la Cour indique que : puisque le locateur est libéré de son obligation de fournir la jouissance paisible des lieux au locataire, en raison d’un cas de force majeure, ce dernier, en contrepartie, n’est pas tenu à son obligation corrélative de payer le loyer pour cette période.

Alors que la fermeture de certains commerces a de nouveau été ordonnée par le gouvernement, cette décision offre une sorte de guide pour les bailleurs et locataires relativement à leurs obligations respectives.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral a annoncé plus tôt ce mois-ci que le programme d’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (AUCLC) allait à nouveau être prolongé, et ce, pour le mois de septembre. Les demandes de prolongation pourront être faites sur le portail mis en place au plus tard le 30 octobre prochain.

Bien que la demande à l’AUCLC soit à l’entière discrétion du locateur, refuser d’y adhérer pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour un locateur aux prises avec un locataire en difficulté de paiement. Ce qui pourrait s’avérer être le cas de certains au cours des prochaines semaines avec l’annonce de la fermeture forcée de certains commerces par un nouveau décret gouvernemental.

En effet, le 13 juillet dernier, dans l’affaire Investissements immobiliers G. Lazzara inc. c. 9224-5455 Québec inc. [2], la Cour supérieure devait statuer sur la demande d’ordonnance de sauvegarde du locateur, par laquelle il réclamait le paiement du loyer impayé, la résiliation du bail et l’éviction de son locataire.

Or, dans les mois précédents l’audience, le locataire avait suggéré à son locateur de demander l’AUCLC, ce qui aurait permis au locateur d’obtenir le paiement de 75% du loyer pour la période visée par le programme et au locataire de bénéficier d’un important allègement de son obligation. Il n’aurait eu qu’à payer 25% du loyer pour la même période. Le locateur a néanmoins refusé. En dépit de ses difficultés, le locataire s’est néanmoins engagé à payer 25% du loyer pour l’ensemble de la période couverte par l’AUCLC.

Dans son jugement, la Cour a rappelé que l’objectif de l’ordonnance de sauvegarde était d’assurer l’équilibre entre les parties. Elle a ajouté que le locateur, en faisant le choix de se priver de 75 % des loyers et en ne bénéficiant pas de l’AUCLC, se place en situation défavorable pour demander au Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’émettre une ordonnance de sauvegarde.  

La Cour conclut donc au rejet de la demande d’ordonnance de sauvegarde et, bien que le locateur ait refusé de se prémunir de l’AUCLC, elle permet au locataire d’acquitter seulement 25% du loyer pour la période durant laquelle l’AUCLC sera en vigueur.

Ces jugements, bien qu’ils soient les premiers à être rendus en cette matière, rappellent l’importance de l’équilibre devant exister dans les relations locateur-locataire, lequel est certainement accentué en contexte de pandémie.

Par Mathieu Tremblay


[1] Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec Inc., 2020 QCCS 2251.

[2] Investissements immobiliers G. Lazzara inc. c. 9224-5455 Québec inc., 2020 QCCS 2176.