Le droit au dépouillement judicaire en contestation d’une élection. Un privilège et non un recours de plein droit.

Les dernières élections municipales au Québec ont apporté leur lot de contestations, et environ une trentaine de demandes de dépouillements judiciaires ont été déposées au greffe de la Cour du Québec suite au scrutin du 7 novembre dernier.

Or, notamment dans les affaires Tannous c. Dreyfuss[1] et Morgan c. Decaluwe[2], la Cour rappelle que le droit à une demande de dépouillement judicaire n’en est pas un absolu, et même qu’un écart d’un seul vote n’est pas un motif suffisant pour qu’un candidat déchu se voit accorder un nouveau dépouillement[3].

D’ailleurs, la Cour réitère que les résultats électoraux compilés par le Président d’une élection bénéficient d’une présomption de régularité[4] et qu’une demande de dépouillement judicaire ne sera accordée que si celui ou celle qui en fait la demande soulève des « motifs raisonnables de croire » à l’irrégularité des résultats[5].

À ce sujet, l’honorable Sylvain Coutlée statue que celui qui demande le dépouillement judicaire doit faire la preuve prépondérante d’une « probabilité raisonnable » d’irrégularités ayant pu entacher le résultat du scrutin. La Cour nous enseigne que bien qu’une preuve prima facie soit suffisante, qu’il faut néanmoins particulariser les motifs de contestation. En d’autres termes, il s’agit d’un exercice d’une part subjectif, c’est-à-dire que le demandeur ou la demanderesse doit croire à la possibilité de l’irrégularité alléguée mais d’autre part, il s’agit également d’un exercice objectif, c’est-à-dire qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances en viendrait également à la conclusion préliminaire d’une possibilité d’irrégularité des résultats du scrutin.

Dans les affaires Dreyfuss et Decaluwe susmentionnées, les demandeurs Tannous et Morgan alléguaient tous deux que les listes des électeurs fournies aux partis politiques par le président des élections, communément appelées les « feuilles de bingo », démontraient une incohérence entre celles-ci et le nombre d’électeurs s’étant effectivement prévalu de leur droit de vote tel que constaté sur les listes officielles dudit président des élections.

La Cour rappelle que les documents qui émanent du président des élections bénéficient d’une présomption de validité alors que les listes des électeurs fournies aux partis politiques n’ont aucune valeur probante. Sur cette base, la Cour détermine que ce motif de demande de dépouillement judiciaire est insuffisant.

Dans le cas spécifique de la Demanderesse Morgan, celle-ci alléguait également que les officiers électoraux auraient pu commettre des erreurs dans la computation des votes, puisqu’au lieu de les compter un par un, ceux-ci auraient plutôt vidé les urnes sur la table de comptage, pour ensuite procéder au comptage ce qui aurait pu causer des erreurs.

Or, la Cour rappelle que la preuve prima facie d’une irrégularité doit être suffisante et que pour avoir gain de cause et obtenir un dépouillement judiciaire, non seulement le demandeur ou la demanderesse se doit de remplir le volet subjectif, mais également le volet objectif, en fournissant une preuve fondée sur des faits, et non des suppositions. Par conséquent, et sur cette autre base, le demande fut rejetée.

Par François Fournier


[1] 2021 QCCQ 12007

[2] 2021 QCCQ 12 011

[3] Larouche c. Langlois2013 QCCQ 13560Landry c. Leblanc2009 QCCQ 12332.

[4] Roy c. Lebouthillier2010 QCCQ 9125, par. 23-24Côté c. Garon2013 QCCQ 13612Hélie c. Châteauneuf2017 QCCQ 13445, par. 10Roubinet c. Bouchard2017 QCCQ 13811, par. 7Lavoie c. Bilodeau2017 QCCQ 13762, par. 18Gilbert c. Fecteau2017 QCCQ 14045, par. 11Côté c. Garon, 2013 QCCQ 13612, par. 48Larouche c. Langlois2013 QCCQ 13560, par. 11.

[5] Bélanger c. Lamoureux, B.E. 99BE-322 (C.Q.); Goguen c. Hébert2012 QCCQ 7579Caselli c. Péloquin2009 QCCQ 13469.