La clause de non-sollicitation : cette clause peut-elle prohiber la recommandation d’un employé à un tiers ?

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La clause de non-sollicitation est une clause généralement insérée dans un contrat de travail qui vise à protéger les intérêts de l’employeur en interdisant aux employés de l’entreprise de solliciter la clientèle ou d’encourager le départ d’un membre du personnel. Cela dit, est-ce que la clause de non-sollicitation peut prohiber la recommandation d’un employé à un tiers? La jurisprudence nous répond dans l’affirmative.

La décision Maibec inc. c. Martineau[1] confirme la validité d’une clause prohibant à un ex-employé d’une entreprise de solliciter un autre employé de cette entreprise (ce qui inclut la recommandation à un tiers) pour une durée de deux ans à compter de la fin de son emploi. En effet, la clause de non-sollicitation que le tribunal devait examiner se lit comme suit :

« Pendant la durée de son emploi et pour une période de vingt-quatre (24) mois par la suite l’employé(e) ne pourra, directement ou indirectement, pour lui-même ou une autre personne (…) encourager, de quelque façon que ce soit, tout employé(e) à quitter son emploi au sein de la compagnie. » (nos soulignés)[2]

Quant à la validité de cette clause, le tribunal indique ce qui suit :

« [33] En général et selon la doctrine, toute clause restrictive en matière d’emploi, qu’elle soit de non-concurrence ou encore de non-sollicitation de client ou d’ancien employé, doit être considérée quant à sa légalité par rapport à sa durée, à son étendue territoriale et à la nature des activités visées :

10.2.1 Bien que les tribunaux québécois étudient chaque clause dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère, la jurisprudence québécoise a analysé la validité des clauses restrictives contenues dans un contrat individuel de travail en évaluant leur caractère raisonnable eu égard à trois critères essentiels, soit 1) la durée de la restriction prévue, 2) l’étendue territoriale sur laquelle porte la restriction, et 3) la nature des activités faisant l’objet de la restriction. »

[…]

« [36] Mais une clause restrictive rattachée à un interdit de sollicitation implique un examen, au niveau de son caractère raisonnable, d’une sévérité atténuée par rapport à ce genre de clause lorsqu’elle vise la non-concurrence:

10.2.120 En ce qui concerne les clauses de non-sollicitation, les tribunaux font preuve d’une sévérité atténuée compte tenu du fait que les protections recherchées par l’employeur sont plus limitées que lorsqu’il s’agit de l’application d’une clause de non-concurrence.

[37] Et une clause de non-sollicitation diffère encore quant à son interprétation selon qu’on envisage la clientèle de l’ancien employeur ou les employés à son service. Car un client, contrairement à un employé, n’a généralement aucune attache. Il est libre de faire affaire avec qui il veut. L’employé n’a pas une liberté aussi grande car il est déjà assujetti aux conditions légales greffées à son lien d’emploi :

[…]

[…] À tout événement, on peut d’ores et déjà retenir que les tribunaux apprécient le caractère raisonnable des clauses de non-sollicitation plus largement, car la protection visée a une portée plus restreinte qu’une véritable clause de non-concurrence.

[38] À ce stade de l’analyse, nous concluons que l’engagement de non-sollicitation d’employé selon l’accord P-1 est raisonnable par rapport à la nature de sa protection puisqu’elle sert à prémunir la demanderesse contre le débauchage de ses employés dans un contexte, notamment, de démissions en cascade. »

Le critère de « la durée de la restriction » est également valide. En effet, le tribunal énonce ce qui suit :

« [39] Quant à la durée de 24 mois prévue dans cet accord signé par M. Martineau, elle est conforme à la jurisprudence et à la doctrine. Elle est donc acceptable:

Il convient selon nous de passer rapidement sur la durée applicable aux clauses de non-sollicitation puisque les principes sont sensiblement les mêmes qu’en matière de non-concurrence, sous réserve d’une simple nuance. La clause de non-sollicitation étant beaucoup moins restrictive pour l’ex-cadre et la clientèle étant libre de ses choix, les juges ont tendance à être plus souples au moment de déterminer sa validité. Ainsi, le rédacteur devrait éviter des clauses d’une durée supérieure à 24 mois et devrait prendre soin, lorsqu’il dépasse ce seuil, de s’assurer que le contexte, « notamment par la nature particulière de l’entreprise, l’importance des fonctions de l’employé ou le fait qu’il est l’employé-clé de l’entreprise » le justifie. »

En résumé, nous constatons que le tribunal confirme ainsi la validité de cette clause de non-sollicitation :

« [42] Nous concluons que le défendeur est assujetti à l’accord de non-sollicitation qu’il a signé puisque la demanderesse a bien démontré que la partie de cet accord qu’elle lui oppose est raisonnable et parfaitement légale »[3].

En outre, il y a lieu de préciser que, contrairement à la clause de non-concurrence, la clause de non-sollicitation n’a pas à comporter une limite quant au territoire géographique :

« D’abord, il ne sera pas nécessaire que la clause de non-sollicitation soit limitée dans l’espace. En effet, comme l’illustrait la récente affaire de Gagnon c St-Pierre, les tribunaux québécois reconnaissent généralement la validité d’une clause de non-sollicitation qui ne stipulait pas de territoire[4] »[5].

[…]

« Récemment, la Cour suprême semble avoir définitivement tranché la question en confirmant que les clauses de non-sollicitation n’avaient pas à prévoir une limite territoriale pour être valides[6] »[7].

En somme, la clause de non-sollicitation peut effectivement prohiber la recommandation d’un employé à un tiers. Il est donc important pour tout employé de bien saisir la portée de la clause qui sera insérée au contrat d’emploi et pour tout employeur de bien se renseigner sur l’existence potentielle et la portée de tout engagement de non-sollicitation d’un nouvel employé auquel ses employés actuels pourraient être assujettis.

 

Par Audrey Robitaille


[1] Maibec inc. c. Martineau, 2014 QCCQ 861.

[2] Maibec inc. c. Martineau, préc., note 1 par. 4

[3] Maibec inc. c. Martineau, préc., note 1 par. 40.

[4] Plusieurs autres décisions sont au même effet. Voir à cet égard Personnel Marie-Andrée Laforce (2000) inc c Laforce, DTE 2004-848 (CS); World Wide Chemicals inc c Bolduc et Desruisseaux, DTE 92T-299; Centre des Orchestres du Québec Alex Drolet ltée c Turgeon, JE 86-31 (CS) [Centre des orchestres].

[5] RENNO, Karim, « La clause de non-sollicitation est morte, longue vie à la clause de non-sollicitation?’ ».

[6] Payette c Guay inc, 2013 CSC 45.

[7] RENNO, K. préc., note 5.