Contrat signé via DocuSign : trois points à retenir d’une décision récente de la Cour du Québec

L’utilisation de la signature électronique est en croissance constante et fait désormais partie de notre quotidien professionnel. Cette croissance n’a été qu’accélérée par le contexte de pandémie dans lequel nous continuons d’assister nos clients dans leurs transactions à distance. De ce fait, nous avons clôturé des contrats avec des clients situés aux quatre coins du monde.

Hormis sa commodité indéniable, il importe de se questionner sur la validité d’un contrat signé électroniquement – est-ce un procédé sécuritaire et quels sont les risques y rattachés?

L’affaire Bennington Financial Corp. c. Dufour

Le 29 septembre 2022, dans l’affaire Bennington Financial Corp. c. Dufour[1] (ci-après la « Décision ») la Cour du Québec (le « Tribunal ») a reconnu la validité d’un contrat signé via la plateforme DocuSign. La demanderesse Bennington Financial Corp. (la « Demanderesse »), réclamait au défendeur, M. Claude Dufour (le « Défendeur »), l’exécution d’un contrat de cautionnement signé via DocuSign[2]. Le Défendeur, en revanche, prétendait notamment qu’il y avait vice de consentement et invalidité du contrat[3].

En l’occurrence, le Tribunal a sans équivoque reconnu la validité du contrat de cautionnement signé électroniquement. En effet, pour reprendre les mots de Monsieur le juge Henri Richard :

« Les documents transmis via la plateforme DocuSign ne font aucun doute quant à leur intégrité et aux signatures […] »[4].

Cette Décision sert d’illustration intéressante relativement à l’utilisation de la signature électronique en droit contractuel québécois.

Il en découle quelques points saillants qui font l’objet de ces prochaines lignes.

  1. En principe, la signature électronique est permise

Sauf exceptions discutés plus loin, un contrat peut être signé par moyen technologique. L’article 2827 du Code civil du Québec[5] (« CcQ ») définit largement la signature comme suit :

« La signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement. » [nos soulignés]

Ainsi, il n’est pas obligatoire qu’une signature soit manuscrite[6]. De plus, le contrat signé électroniquement est régi par la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (la « LCCJTI »)[7]. La LCCJTI a notamment comme objectif d’atteindre l’équivalence fonctionnelle de la valeur juridique des documents, quels que soient les supports utilisés[8]. Elle ne prévoit pas l’utilisation de plateformes précises pour la signature électronique, mais établit plutôt des critères pour assurer la valeur juridique et l’intégrité des documents signés par moyens technologiques.

Dans la Décision qui nous intéresse, le Tribunal reconnait la validité juridique du contrat électronique en se basant sur les articles 2837 à 2840 du CcQ et également sur la LCCJTI[9].

  1. L’intégrité du contrat électronique doit être assurée

L’intégrité du contrat signé électroniquement doit être assurée afin qu’il ait la même valeur juridique qu’un contrat manuscrit[10]. Plus précisément, il doit être possible de vérifier qu’il n’a pas été modifié après sa signature, qu’il est intégral et que le support technologique utilisé assure sa stabilité et pérennité[11]. À titre d’exemples, les plateformes DocuSign et ConsignO Cloud – Notarius permettent la vérification de ces éléments par la production de certificat d’authenticité et de journal d’audit.

Afin de faciliter la preuve des contrats signés électroniquement, l’article 2840 CcQ prévoit une présomption simple d’intégrité du support technologique employé. Ainsi, il incombe à celui qui conteste la validité du support technologique utilisé de démontrer par preuve prépondérante qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du contrat[12].

Par ailleurs, si le moyen technologique utilisé n’assure pas l’intégrité du document, ce document peut tout de même servir comme commencement de preuve à titre d’élément matériel et/ou de témoignage[13].

En l’occurrence, la Demanderesse a produit un « certificate of completion » provenant de la plateforme DocuSign démontrant que le Défendeur a reçu, consulté et signé le contrat de cautionnement[14]. Ce certificat a ultimement servi à assurer l’intégrité du contrat, et le Défendeur n’a pas prouvé qu’il y avait eu atteinte à celle-ci. Le Tribunal a, de plus, conclu que le fait que le cautionnement ait été signé par différentes personnes à la même adresse IP ne remet pas en cause son intégrité[15].

  1. Les faits entourant la signature électronique sont pertinents

Tel un contrat signé à l’encre, les faits entourant la signature électronique peuvent également avoir du poids dans l’appréciation de la preuve.

Dans notre cas d’espèce, le Tribunal a retenu plusieurs faits qui ont aidé à démontrer que le Défendeur avait bel et bien consenti au contrat de cautionnement. Ce dernier a notamment transmis ses renseignements personnels à la Demanderesse, a signé une demande d’autorisation de vérification de crédit, et a reconnu via des communications par courriel avoir reçu et signé le contrat[16]. Le Tribunal a également ajouté qu’il aurait été incongru de conclure à l’invalidité du contrat puisque le Défendeur a admis avoir reçu les équipements faisant l’objet d’un contrat et avoir effectué des paiements pour ceux-ci dans le passé[17].

Attention aux exceptions

La loi prévoit des exceptions où la signature électronique est soit prohibée ou modulée. Il en est ainsi notamment pour les actes authentiques signés devant notaire, lesquels bénéficient actuellement d’une autorisation spéciale du gouvernement permettant la signature sur support technologique[18]. Ceux-ci doivent obligatoirement être signés via la plateforme ConsignO Cloud Notarius et doivent respecter les procédures édictées par la Chambre des notaires du Québec.

Il est également possible que l’utilisation de la signature électronique soit refusée ou limitée par une des parties contractantes, et qu’une signature manuscrite soit demandée. Il s’agit parfois d’une exigence de prêteurs hypothécaires quant à la signature de documents de financement.

Finalement, le fait de signer un document électroniquement ne soustrait pas le juriste de son obligation de vérifier l’identité, la qualité et la capacité du signataire lorsque la loi ou une convention l’exige. Les notaires, par exemple, doivent continuer d’exercer une grande vigilance lors de la signature d’actes authentiques sur support technologique, notamment pour mitiger les risques de fraude, de vol d’identité, d’incapacité, et de coercion[19].

Conclusion

En conclusion, la signature électronique est valide et sécuritaire dans la mesure ou elle est permise par la loi et lorsque des supports et technologies sécurisés sont utilisés.

Il importe donc de vérifier auprès de votre conseiller juridique si la législation, la règlementation et/ou des circonstances particulières de votre situation vous permettent de signer un document par moyen technologique.

Par Mélissa Dion


[1] Bennington Financial Corp. c. Dufour 2022 QCCQ 6420

[2] Id., paragraphe 1.

[3] Id., paragraphe 2.

[4] Id, paragraphe 18

[5] Code civil du Québec (chapitre CCQ-1991)

[6] Article 39 Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1).

[7] Article 2837 CcQ

[8] Article 1, paragraphe 3 LCCJTI

[9] Bennington Financial Corp. c. Dufour, paragraphes 16 et 17.

[10] Article 2838 CcQ

[11] Article 2839 CcQ et article 6 LCCJTI.

[12] Article 2840 CcQ

[13] Articles 2839 alinéa 2 et 2865 CcQ et article 5 alinéa 3 LCCJTI

[14] Bennington Financial Corp. c. Dufour, paragraphe 14.

[15] Id, paragraphe 20.

[16] Id, paragraphes 19 et 22.

[17] Id, paragraphe 23.

[18] Arrêté numéro 4841 du ministre de la Justice adopté en date du 24 août 2022, adopté conformément à l’article 5.1 de la Loi sur le ministère de la Justice (chapitre M-19)

[19] Article 43 alinéa 1 Loi sur le Notariat (chapitre N-3)