UNE NOUVELLE LOI QUI FAIT JASER : LA LOI VISANT À MODERNISER LE NOTARIAT ET À FAVORISER L’ACCÈS À LA JUSTICE

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Face à l’évolution de la pratique du droit et particulièrement de la place que prend la technologie au quotidien, le gouvernement du Québec a adopté, le 24 octobre 2023, une loi dont le nom est assez révélateur de son objectif:  la Loi visant à moderniser la pratique notariale et à favoriser l’accès à la justice (la « Loi 34 »). À l’exception de certaines dispositions non en vigueur, la Loi 34 est entrée en vigueur le même jour.

Voici un résumé des principaux changements apportés aux termes de la Loi 34 :

I. MODERNISATION DE LA PRATIQUE NOTARIALE

Actes notariés sur support technologique

L’un des principaux objectifs de la Loi 34 est de rendre permanente la signature des actes notariés sur un support technologique, qui était jusqu’à l’adoption de cette loi autorisée aux termes de décrets renouvelés annuellement dans un contexte d’urgence sanitaire. Ainsi, la Loi sur le Notariat (RLRQ c. N-3) (« Loi sur le notariat ») a fait l’objet de plusieurs modifications pour refléter cette poussée de la profession notariale vers l’ère numérique.

Non seulement les actes notariés reçus sous support technologique seront autorisés par la loi, ils devront être signés de cette façon dès l’entrée en vigueur de la disposition à cet effet prévue d’ici l’année 2025.

Cette nouvelle loi prévoit de plus, d’ici 2025, la fin des « bons vieux » actes papiers.

La Loi 34 n’interdira pas les actes signés sous support papiers, mais viendra restreindre grandement leur utilisation. Certaines exceptions seront prévues par règlement dans les situations où le support technologique n’est pas approprié.

Il est également prévu que les minutes papiers pourront être transférées vers un support technologique et devront par la suite être détruites.

 Greffe central numérique

Dans cette optique de modernisation des actes notariés et du nouveau caractère permanent des actes numériques, les greffes des notaires seront regroupés dans un seul et même greffe central numérique, lequel sera créée et administré par la Chambre des notaires du Québec jusqu’au versement des actes technologiques à Bibliothèques et Archives nationales du Québec.

Actes notariés à distance

Il faut se rappeler que depuis avril 2020, des mesures avaient été mises en place par la Chambre des notaires du Québec afin que les actes notariés puissent être signés non seulement au moyen de procédés technologiques, mais également à distance. La réception d’actes d’hypothèques, de ventes ou de déclarations de copropriété, qui pour plusieurs ont été conclus à distance depuis les trois dernières années, est désormais considérée, suivant les modifications à la Loi sur le notariat, une mesure « exceptionnelle ».

Particulièrement, l’article 46 de la Loi sur le notariat est modifiée pour y ajouter ce qui suit :

  1. […]

 Le notaire peut exceptionnellement, si les circonstances l’exigent et que cela peut être fait dans le respect des droits et des intérêts des parties, autoriser une partie ou un témoin qui en fait la demande à signer l’acte à distance. Cette autorisation peut être révoquée en tout temps.

La Loi 34 resserre donc le cadre dans lequel les signatures à distances sont exécutées, de façon à ce qu’elles ne deviennent pas une norme. L’utilisation du mot « exceptionnel » implique le jugement du notaire sur les circonstances appropriées pour utiliser cette méthode de signature, en prenant compte des besoins des parties impliquées et le devoir du notaire en tant qu’officier public.

La Chambre des notaires a précisé à cet effet dans des lignes directrices à l’attention de ses membres son interprétation des conditions permettant l’utilisation de la signature à distance:

i) Les circonstances l’exigent

Les circonstances justifiant l’utilisation de la signature à distance sont notamment les suivantes :

  • Une partie est située à une grande distance d’un notaire disponible ou d’un notaire ayant l’expertise requise pour répondre à ses besoins juridiques;
  • des conditions sanitaires, l’état de santé, des restrictions ou des limitations fonctionnelles d’une personne ou des conditions climatiques ne permettent pas le déplacement;
  • une situation hors du contrôle des signataires et le report de la signature peut créer un enjeu dans les droits et les intérêts de l’autre partie.

La Chambre des notaires précise toutefois que le fait qu’une(des) partie(s) qui signe couramment des actes notariés à distance ne constitue pas une situation exigeant la signature à distance. Une partie qui ne souhaite pas se déplacer pour signer un acte peut recourir à d’autres moyens tels l’utilisation d’une procuration ou d’une résolution dans le cas d’une personne morale, ou le recours à un notaire délégué situé à proximité d’une partie requérant la signature à distance.

ii) une partie en fait la demande ET

iii) dans le respect des droits et intérêts des parties

Le notaire ne peut imposer la signature à distance aux parties. C’est la partie qui doit faire une telle demande, et les circonstances justifiant l’utilisation de ce procédé doivent être spécifiques à une partie et non pas au notaire.

iv) caractère exceptionnel

Puisque la signature à distance des parties ne peut pas être érigée en système, le notaire qui souhaite s’afficher comme offrant ce service doit préciser dans le même message son caractère exceptionnel et la nécessité de respecter toutes les conditions prévues à la Loi sur le notariat.

La Loi 34 donne par ailleurs au conseil d’administration de la Chambre des notaires la latitude de restreindre l’utilisation la clôture d’actes à distances en permettant de la limiter ou même de l’interdire pour certains actes ou certaines circonstances.

Restriction des actes notariés

L’article 15 de la Loi sur le notariat, qui prévoyait avant l’entrée en vigueur de la Loi 34 que seul un notaire ne peut, pour le compte d’autrui, recevoir des actes devant être obligatoirement sous la forme notariée est maintenant rédigé de façon plus restrictive. En effet, cet article se lit maintenant comme suit :

  1. Sous réserve des dispositions des articles 15.1 et 16, nul autre qu’un notaire ne peut, pour le compte d’autrui:

 préparer ou rédiger les actes qui, suivant le Code civil ou une autre loi, doivent être reçus sous forme notariée;

[…]

15.0.1. Sauf exception prévue par la loi, nul autre qu’un notaire ne peut :

 1° lors de la rédaction ou de la préparation d’un acte notarié, effectuer ou vérifier et valider les constatations ou les inscriptions, dans l’acte, des énonciations de faits et des déclarations des parties se rapportant directement à l’acte juridique qu’il renferme;

 2° poser d’autres gestes intrinsèquement liés à la mission d’officier public du notaire. <

 L’objectif de ces modifications à la Loi sur le notariat est d’assurer le contrôle du notaire dans l’ensemble de son dossier, et intrinsèquement de limiter le recours aux « closing centers ».

II. ACCÈS À LA JUSTICE

Les fonds d’études

Aux termes de nouvelles modifications à la Loi sur le Barreau du Québec (RLRQ c B-1) et la Loi sur le Notariat introduites par la Loi 34, le fonds d’études juridiques du Barreau du Québec et le Fonds d’études notariales de la Chambre des notaires du Québec, dont l’existence est déjà prévue par ces lois, ont désormais pour objet additionnel le financement de mesures visant à favoriser l’accès à la justice.

Force exécutoire des actes notariés

Afin de permettre aux notaires d’avoir un plus grand rôle dans la promotion de l’accès à la justice, certains actes notariés auront désormais la force exécutoire de plein droit, de la même façon qu’une décision judiciaire.

Ainsi, le Code civil du Québec est modifié par l’ajout du nouvel article 1603.1, lequel prévoit qu’un créancier peut obtenir l’exécution forcée d’une obligation contractuelle constatée dans un acte notarié, le tout suivant la procédure à être établie par règlement du gouvernement.

 Conclusion

En résumé, les objectifs de la Loi 34, dont l’adoption et la mise en vigueur se sont faites quelques semaines seulement après son dépôt, sont les suivants :

  1. La modernisation de la profession notariale, laquelle se concrétise par la conclusion d’actes notariés sur support technologique, la création d’un greffe central numérique, ainsi que la possibilité de signer des actes notariés à distance sous certaines conditions.
  2. Une plus grande contribution par les notaires et les avocats à un accès à la justice, par l’utilisation des fonds d’études du Barreau du Québec et de la Chambre des notaires du Québec à des fins de favorisation d’accès à la justice, et par l’introduction de la force exécutoire de certains actes notariés, permettant ainsi un désengorgement des tribunaux.

Par Marie-Chantale Dubé