LES RÉGIMES MATRIMONIAUX : UN PIÈGE À ÉVITER EN EXAMEN DES TITRES

En vertu de l’arrêt Roberge c. Bolduc [1991], l’examen des titres est une obligation de moyens. Cependant, le juriste chargé de la recherche des titres de propriété se doit d’effectuer sa tâche de manière prudente et diligente, c’est-à-dire que si des éléments l’amènent à croire qu’une recherche plus rigoureuse est nécessaire, il se doit de pousser son analyse plus loin.

Dans cette décision, le juge L’Heureux-Dubé au paragraphe 437, a spécifié que : « Le fait qu’un professionnel ait suivi la pratique de ses pairs peut constituer une forte preuve d’une conduite raisonnable et diligente, mais ce n’est pas déterminant. » Il est donc primordial, d’être minutieux et attentif aux différents détails selon le contexte juridique.

L’un des défis pouvant survenir lors d’un examen des titres concerne l’application des bonnes règles de droit relatives au moment de l’aliénation de l’immeuble. Lors d’une analyse allant au-delà de la date d’entrée en vigueur du Code civil du Québec (RLRQ, c CCQ-1991) (ci-après « Code »), c’est-à-dire le 1er janvier 1994, les règles régissant certains domaines du droit diffèrent de la loi présentement applicable et notamment, les lois en matière de régime matrimoniaux durant le mariage ainsi qu’au moment de sa dissolution.

L’examen de la section concernant l’état matrimonial dans les actes translatifs de propriété permet d’identifier le régime matrimonial applicable aux parties au moment de l’acte. 

 

LA LOI SUR L’APPLICATION DE LA RÉFORME DU CODE CIVIL

L’article 2 de la loi sur l’application de la réforme du Code civil stipule ce qui suit : 

« La loi nouvelle n’a pas d’effet rétroactif: elle ne dispose que pour l’avenir.

Ainsi, elle ne modifie pas les conditions de création d’une situation juridique antérieurement créée ni les conditions d’extinction d’une situation juridique antérieurement éteinte. Elle n’altère pas non plus les effets déjà produits par une situation juridique. ».

Malgré les diverses modifications concernant les régimes matrimoniaux au fil du temps, sauf exceptions particulières, il est important d’analyser les titres de propriété selon la loi en vigueur au moment de la transaction. 

 

LES RÉGIMES MATRIMONIAUX PRÉVUS DANS LE CODE CIVIL DU QUÉBEC ET DANS LE CODE CIVIL DU BAS-CANADA 

Les trois régimes matrimoniaux principaux sont la communauté de biens, la séparation de biens et la société d’acquêts. Le Code civil du Bas-Canada (S prov C 1865 (29 Vict), c. 41) (ci-après « Code du Bas-Canada ») fait mention des trois régimes tandis que le Code ne contient que des dispositions relatives à la séparation de biens et à la société d’acquêts.

Néanmoins, son article 492 vient spécifier notamment que pour l’ancien régime de la communauté légale, les règles de dissolution et de liquidation du régime de la société d’acquêts peuvent être invoquées si elles ne sont pas incompatibles avec le régime actuel.

 

SÉPARATION DE BIENS

Sous le régime actuel de la séparation de biens, sauf exceptions, dont notamment la présence d’une déclaration de résidence familiale dûment publiée (article 405 du Code), chacun gère ses propres biens immobiliers sans la nécessité du consentement du conjoint.          

Si nous prenons le cas d’un couple marié sous le régime de la séparation de biens en date d’aujourd’hui et dont la femme a acheté une maison seule, lors de la revente de la maison, celle-ci n’aurait en principe pas besoin du consentement de son conjoint pour revendre son bien puisqu’elle a des pouvoirs illimités sur celui-ci.

Dans le cas où ce même couple s’était marié sous le régime de la séparation des biens en 1960 et que la vente de l’immeuble (bien personnel) avait lieu la même année, l’autorisation du conjoint ou de la Cour aurait été nécessaire pour toute aliénation ou donation du bien (articles 763 et 178 du Code du Bas-Canada). 

 

COMMUNAUTÉ DE BIENS

En communauté de biens, il y avait les biens communs, les biens propres du mari, les biens propres de la femme ainsi que les biens réservés de la femme. Dans ce régime, il y a une présomption de biens communs (article 1402 du Code du Bas-Canada). Les biens réservés sont les biens que la femme a acquis par le fruit de son travail et qu’elle a déclaré comme étant des biens réservés. 

Bien que la communauté de biens n’apparaisse nulle part dans le Code, à l’exception de l’article 492, ce n’est pas pour autant que ce régime ne doit pas être traité lors de l’analyse des titres. Une connaissance des règles prévues dans le Code du Bas-Canada et des lois qui y ont apportées des modifications est donc nécessaire. En effet, plusieurs modifications au régime ont été apportées afin, entre autres, de donner une plus grande latitude et plus d’autonomie aux femmes.

 

SOCIÉTÉ D’ACQUÊTS

Sous le régime de la société d’acquêts, il y a des biens propres et des acquêts pour chacun des époux. Ils ont tous la libre disposition des biens propres et des acquêts. Comme la séparation de biens, la présence d’une déclaration de résidence familiale peut avoir un impact sur l’aliénation du bien immeuble. Le consentement du conjoint est nécessaire pour la donation d’un acquêt (article 462 du Code).

Présentement, le partage des acquêts donne lieu à une créance, mais avant le 1ier juillet 1989, le partage des acquêts donnait lieu à de l’indivision. La dissolution du régime avait donc des effets différents selon la période de temps. 

Si nous prenons le cas d’un couple qui divorce avant le 1ier juillet 1989, même si l’immeuble était dans la catégorie des acquêts du mari, l’immeuble devenait la propriété des deux conjoints, chacun devenant propriétaire de la moitié. En date d’aujourd’hui, la conjointe aurait un droit de créance, mais aucun droit de propriété sur l’immeuble.

 

LOIS IMPORTANTES CONCERNANT LES RÉGIMES MATRIMONIAUX

En plus d’avoir une bonne connaissance de base des différents régimes matrimoniaux, il est également primordial de connaître certaines lois ayant apporté des modifications ou des précisions sur les droits des parties.  

En effet, lors d’une analyse précédant la période d’entrée en vigueur du Code, il faut également tenir compte de certaines lois pertinentes telles que la Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77 (Bill 10) de 1969 ainsi que la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée, S.Q. 1963-64, C.66 (Bill 16) datée de 1964. 

Ces lois sont venues apporter des précisions par rapport au droit des parties dans un mariage. L’un des objectifs du Bill 10 était de retirer de la loi, la notion de « Chef de famille » qui attribuait une certaine autorité et un contrôle absolu au conjoint sur la famille. La « suprématie » accordée au mari lui permettait d’administrer les propres biens de sa femme sans qu’elle ait son mot à dire.

Le Bill 16 quant à lui avait notamment comme objectif d’accorder la pleine capacité juridique à la femme en supprimant par exemple, les articles mentionnant qu’elle devait obéissance à son mari afin de confirmer le fait que dorénavant, elle assure la direction de la famille en collaboration avec son mari.

 

LA CLAUSE DE VIDUITÉ

Au fil du temps, il est possible de constater que le législateur a également annulé certaines dispositions légales limitant la liberté des femmes et donnant une position de supériorité aux maris. C’est le cas de la clause de viduité qui est maintenant réputée non écrite en vertu du Code.  

« 757. La condition impossible ou contraire à l’ordre public est réputée non écrite. 

Ainsi est réputée non écrite la disposition limitant les droits du conjoint survivant lorsqu’il se lie de nouveau par un mariage ou une union civile ».

En effet, dans la décision Laroche c. Lamothe 2018 QCCA 1726, la Cour est venue à la conclusion que l’existence même de cette clause démontre une discrimination basée sur l’état civil, contrevenant ainsi à l’article 10 de la Charte des droits et liberté de la personne RLRQ, c. C-12 et une atteinte à la vie privée allant ainsi à l’encontre de l’article 5 de ladite Charte. 

L’article 5 de la loi sur l’application de la réforme du code civil stipule ce qui suit : 

« Les stipulations d’un acte juridique antérieures à la loi nouvelle et qui sont contraires à ses dispositions impératives sont privées d’effet pour l’avenir. »

Les auteurs Gagnon, Galarneau et Duchaine dans la 5ième édition de leur ouvrage, l’examen des titres immobiliers et citant les décisions Myrand c. Simard, REJB 1997-03151 (CS) et Gosselin c. Gosselin, EYB 2009-164578 (C.S) viennent préciser que les clauses de viduité existantes avant la mise en vigueur du Code n’ont plus aucun effet.

 

CONCLUSION

Lors d’un examen des titres, il est donc très important de prendre en considération la période durant laquelle l’acte translatif de propriété a été signé. De plus, il faut également se rappeler qu’avant la mise en vigueur du Code, les femmes transigeaient régulièrement sous le nom de famille de leur conjoint.

À la suite de divers changements législatifs, il est maintenant obligatoire d’utiliser le nom de famille à la naissance en vertu des articles 5 et 393 du Code. Au fil du temps, il est également possible de constater une évolution positive du droit des femmes dans la loi. En effet, celles-ci ont une meilleure protection juridique et un statut d’égal face à leurs conjoints. 

Par Rebecca Simon