INTERPRÉTATION ÉLARGIE DU TERME « IMMEUBLE » : LES IMPLICATIONS POUR LES CENTRES DE DONNÉES

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Au Québec, les municipalités peuvent percevoir des taxes foncières sur les équipements de centres de données, tout comme sur d’autres types de biens immobiliers et équipements. Les modalités de taxation sont bien sûr soumises à plusieurs facteurs, notamment aux différentes politiques fiscales locales, la valeur foncière ou encore leur évaluation par les autorités municipales. Il nous parait ainsi pertinent d’informer nos clients sur la possible applicabilité à leur secteur d’activité comme la jurisprudence des dernières années semble retenir une interprétation large du terme « immeuble ».

Cette interprétation élargie prend une ampleur importante dans le contexte où la province connait un attrait important pour l’implantation des centres de données. En effet, le Québec offre de nombreux avantages dont une source d’énergie abordable et abondante par le réseau électrique d’Hydro-Québec et un climat plus frais. De plus, la réputation mondiale de Montréal en matière d’intelligence artificielle vient renforcer l’attrait des marchés québécois.

 

Qu’est-ce qu’un immeuble au terme de la Loi sur la fiscalité municipale

Un immeuble, sous la Loi sur la fiscalité municipale (la « LFM »), s’entend tant un son sens commun, soit les terrains, les bâtiments permanents qui s’y trouvent, ainsi que tout ce qui en fait partie intégrante, qu’en un sens spécifique à la LFM, soit aux immobilisations par attache d’un bien meuble à un immeuble. Cette interprétation spécifique soulevée par la loi suscite davantage d’interrogations, ce pour quoi elle sera l’objet principal du présent article. 

 

Quel sens doit-on donner à la notion d’immobilisation par attache? 

Au cours des dernières années, la Cour d’appel a examiné de près la question particulière de la classification des équipements d’un centre de données comme étant fixés en permanence à un immeuble. La Cour conclut que les équipements des centres de données peuvent être qualifiés d’« attachés à demeure » même en l’absence de fixation physique, pour autant qu’il existe un lien conceptuel avec l’immeuble.

Effectivement, dans l’arrêt Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, où il était question de déterminer si les équipements utilisés pour héberger des serveurs informatiques sont considérés comme des meubles « attachés à demeure » à l’immeuble dans lequel ils sont installés, et par conséquent, s’ils doivent être inclus dans l’évaluation foncière de cet immeuble, la Cour en vient à quatre conclusions : 

  1. L’absence d’une attache physique n’est pas déterminante pour établir l’immobilisation des équipements. Ce qui compte, c’est leur immobilisation effective.
  2. La vocation générale des immeubles ne détermine pas la qualification des meubles qui leur sont attachés. L’immobilisation par attache d’un bien meuble n’est pas limitée aux bâtiments à vocation spécifique.
  3. La présence de plusieurs locataires dans un immeuble n’empêche pas l’immobilisation par attache d’un bien meuble.
  4. Le lien intellectuel ou le rapport de destination concerne l’immeuble ou ses composantes. Par exemple, un réseau d’alimentation et de distribution en électricité et en climatisation intégré au bâtiment pour répondre aux besoins spécifiques d’un centre de données. Même si certains équipements dépassent les besoins usuels de l’immeuble, cela n’altère pas le lien intellectuel existant entre ces équipements et la partie de l’immeuble loué par le locataire.

La Cour réitère ces principes dans Ville de Québec c. Vidéotron ltée. Dans cet arrêt, la Ville de Québec conteste la décision d’exclure les équipements de téléphonie sans fil de Vidéotron de l’évaluation foncière. La Cour d’appel statue en faveur de la Ville de Québec, permettant ainsi l’ajout de ces équipements au rôle foncier conformément à la LFM sous le même critère d’inclusion, soit que les équipements de téléphonie sans fil répondaient aux critères définis par la loi pour être considérés comme attachés à demeure à l’immeuble et donc imposables. Cela inclut notamment l’immobilisation des équipements et leur lien avec l’immeuble.

 

Quels sont les impacts possibles de cette interprétation large? 

La jurisprudence, retenant une interprétation large du terme immeuble, nous amène à inciter nos clients à traiter avec prudence les baux touchant non seulement les centres de données, mais aussi tout autre domaine afférent au secteur des télécoms et toute entreprise qui souhaite investir dans de l’équipement. Effectivement, la valeur des équipements technologiques présents dans un immeuble pouvant être élevée, il est important de prendre en considération cette possibilité de taxation lors de la négociation et de la rédaction de baux immobiliers tant à titre de locataire que de propriétaire afin d’établir les rôles et responsabilités de chacun à cet égard. 

Aux dernières nouvelles, les centres de données se sont mobilisés pour contester cette interprétation. De leur point de vue, l’industrie doit bénéficier des mêmes exemptions de taxe foncière qui s’appliquent au secteur manufacturier. Cette mobilisation s’étend également au Conseil du patronat et à la Fédération des chambres du commerce du Québec. Des représentations sont en cours à cet égard auprès des autorités et nous mettrons cet article à jour au moment opportun. La Cour suprême a toutefois rejeté la demande d’autorisation d’appeler pour ces deux décisions récentes de la Cour d’appel, coinçant ainsi les entreprises visées avec ce droit arrêté. 

 

Par Selma Adam et Audrey Robitaille