Une hypothèque légale résultant d’un jugement peut-elle grever une universalité de biens meubles ?

Gascon Litige Litigation

Le Code civil du Québec prévoit la possibilité pour tout créancier en faveur de qui un tribunal québécois a rendu un jugement portant condamnation à verser une somme d’argent de publier une hypothèque légale sur les biens meubles et immeubles du débiteur. L’avis d’inscription de l’hypothèque doit indiquer, entre autres, le bien grevé par l’hypothèque et le montant de l’obligation1. Elle prend rang selon la date, l’heure et la minute de son inscription.

Est-ce qu’une telle hypothèque peut grever l’entièreté des biens meubles dont le débiteur est propriétaire ? La Cour supérieure du Québec a eu à trancher la question dans la décision Plasticon Canada inc. c. Corbec inc.2, laquelle n’a pas été portée en appel et les délais d’appel sont maintenant échus.

Dans cette décision, Plasticon Canada inc. (« Plasticon ») avait conclu avec Corbec inc. (« Corbec ») un contrat de conception, de fabrication et de livraison de réservoirs et structures d’acier. L’exécution du contrat a donné lieu à un litige, puis à la condamnation de Plasticon à payer une somme d’environ 395 000 $. 

Une hypothèque légale portant sur l’universalité des biens meubles de Plasticon est ensuite publiée au Registre des droits personnels et réels mobiliers.

La décision est portée en appel et, pour cette raison, l’avocat de Corbec n’entreprend pas tout de suite les démarches requises en vue d’exécuter le jugement, notamment celles pour déterminer l’étendue des biens meubles dont Plasticon est propriétaire.

Plasticon conteste la validité de l’hypothèque légale, car elle grèverait plus que ce qui est permis par le Code civil du Québec. Plasticon ajoute qu’elle ne peut substituer l’hypothèque à une autre sûreté suffisante, tel que le permet l’article 2731 du Code civil du Québec, étant donné qu’il est impossible de déterminer comment substituer une hypothèque qui porte sur tous les biens meubles à des biens déterminés.

La Cour fait l’analyse de la doctrine sur le sujet. Les auteurs ne sont pas unanimes quant à la possibilité de publier une hypothèque légale résultant d’un jugement sur une universalité de biens meubles. Selon certains, ce droit serait notamment restreint par celui du débiteur de substituer son hypothèque (voir paragraphe précédent), ou le fait qu’il n’est pas expressément mentionné à l’article 2730 du Code civil du Québec que l’hypothèque puisse porter sur une universalité.

Quant à la jurisprudence, peu de décisions des tribunaux traitent directement de la question.

La Cour constate que plusieurs hypothèques légales prévues par le Code civil du Québec sont permises dans la mesure où elles grèvent le bien relié à la créance due : par exemple, l’hypothèque légale de la construction ne peut être publiée que sur l’immeuble dans lequel les travaux ont eu lieu, et non pas sur tous les autres biens du débiteur. Or, il n’y a pas de telle restriction concernant celle résultant d’un jugement. Par ailleurs, même si l’article 2730 du Code civil du Québec traite d’« un bien, meuble ou immeuble », la Cour souligne que cela ne veut pas dire qu’il faut se limiter à un seul bien. La Cour indique également que les principes généraux édictés dans le Code civil du Québec relativement aux hypothèques sur l’universalité des biens meubles s’appliquent à l’hypothèque légale résultant d’un jugement.

Enfin, la Cour souligne que l’article 2731 du Code civil du Québec permet à un tribunal, à la demande du propriétaire du bien grevé de l’hypothèque légale, de déterminer le bien que l’hypothèque pourra grever, réduire le nombre de ces biens ou permettre au requérant de substituer à cette hypothèque une autre sûreté suffisante pour garantir le paiement ; le tribunal peut même ordonner la radiation de l’inscription de l’hypothèque légale.

La Cour rejette donc la demande de Plasticon de faire radier l’hypothèque légale qui grève ses biens.

Il demeure toutefois que cette question n’a jamais été véritablement tranchée par la Cour d’appel. La présente décision n’ayant pas été portée en appel, la question sera fort probablement débattue à nouveau dans un futur (peut-être) rapproché !

Par Émilie Therrien

1 Article 2730 Code civil du Québec

2 2019 QCCS 2110